Jam : Je suis Jam et vous écoutez Supravore. Mon invité aujourd'hui est Dr Anthony Fardet, chercheur en nutrition, membre du comité scientifique SIGA et chargé de recherche en alimentation préventive, durable et holistique. Il est également auteur, il a en effet participé à l'écriture de nombreux ouvrages tel que l'édition française du livre de Robert Lustig (préface), intitulé "Sucre l'amère vérité" et en 2017 il a publié son livre "Halte aux aliments ultra-transformés ! Mangeons vrai." disponible aux éditions Thierry Souccar. Anthony, merci d'avoir accepté l'invitation. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur toi ? Ton parcours et ce qui t'a amené à te concentrer sur la nutrition ?
Dr Anthony Fardet : Oui, alors je suis de formation ingénieur agro-alimentaire de l'agro Paris Tech. J'ai ensuite fait un doctorat en nutrition humaine à l'université d'Aix Marseille. Et aujourd'hui, donc je suis chercheur en alimentation préventive durable et holistique. On pourra y revenir donc ça fait 23 ans que je fais de la recherche essentiellement publique. J'ai été très tôt intéressé par les sciences de la vie puisque j'ai fait un bac sciences de la vie. J'ai toujours aimé la nature, l'environnement, les animaux, très curieux, passionné de photographie environnementale, naturaliste et animale. Et l'alimentation, je me suis dirigé vers l'alimentation, parce que l'alimentation soutien la vie sous toutes ses formes, justement environnementale, animale, humaine et donc ça combinait mon, je dirais mon mon désir de de curiosité. J'aime beaucoup analyser, théoriser, conceptualiser. Voilà donc c'était une bonne, une bonne combinaison de toutes mes aspirations et ce qui est passionnant avec alimentation, c'est que ça touche tout le monde, tout le monde mange donc ça en fait un sujet vraiment très transversal, très interactif. Et puis, comme je le disais, se battre pour une meilleure alimentation, c'est aussi se battre pour la vie humaine, animale, végétale et environnementale. Voilà.
Jam : Et donc aujourd'hui, tu te concentre un peu plus sur les aliments ultra-transformés.
Dr Anthony Fardet : Oui.
Jam : Est-ce que tu peux d'abord nous donner une petite définition de ce que c'est ?
Dr Anthony Fardet : Oui, en effet, alors, juste brièvement, pour expliquer ce qui m'a amené aux aliments ultra-transformés. Le fil rouge de mes recherches a toujours été le lien entre la transformation des aliments et leur impact sur la santé dans le cadre de leur relation alimentation santé. Et je me suis beaucoup intéressé aussi à la philosophie de l'alimentation et en fait, dans plusieurs papiers qu'on a publié avec un collègue, on a conclu que l'approche réductionniste, c'est à dire qui consiste à déconstruire les aliments en leurs composés élémentaire, c'est-à-dire les nutriments, a prédominé dans la recherche occidentale en nutrition, donc elle a été utile. Mais aujourd'hui, elle est devenue presque ultra réductionniste et en fait, on a fini par résumer le potentiel global santé de l'aliment à la somme du potentiel santé de ces composés, glucides, fibres, lipides, protéines, c'est à dire un peu selon une équation linéaire qui qui dirait que un plus un égal deux. Mais c'est oublier les liens entre les nutriments, c'est à dire que, entre un glucide. Un lipide, une protéine, un antioxydant, un minéral, une vitamine, des fibres. Tout ça, c'est lié dans l'aliment, dans ce qu'on appelle la matrice alimentaire. Et donc moi, je prône une approche de revenir à une approche holistique pour lutter contre les maladies chroniques et prendre en compte la complexité de l'aliment, ce qu'on appelle la matrice. Donc en fait, ce sont ces réflexions, en introduction, qui m'ont amené aux aliments ultra-transformés, parce que, en fait, j'ai eu un déclic et j'ai compris en découvrant le concept vers 2012 2013 que ces aliments qui sont justement fractionnés, recombinés, dans lesquels les liens entre les nutriments sont coupés, séparés, étaient le symbole ultime de cette pensée ultra réductionniste, donc, c'était un aliment qui est le fruit de cette pensée qui est devenue trop extrême. Et donc pour répondre à ta question sur la définition d'un aliment ultra transformé, et bien c'est un aliment qui contient ce qu'on appelle un marqueur d'ultra transformation. On peut parler de de MUT. Alors quels sont ces MUT ? Alors MUT sont d'abord utilisé généralement pour modifier les propriétés sensorielles de l'aliment, c'est à dire goût, couleur, arôme et texture. Ces MUT sont de 4 types. Ça peut être des additifs que l'on qualifie de cosmétiques, c'est à dire qui avoir pour vocation de modifier la couleur, la texture, le goût. Ensuite, alors c'est pas tous les additifs, les conservateurs dans la définition initiale de l'ultra transformation, n'entre pas dans cette définition. Ensuite, vous avez ce qu'on appelle les arômes qui ne sont pas des additifs. Donc il y a beaucoup d'arômes, plusieurs presque 3000 arômes par exemple sont utilisés en France. Ensuite 3e catégorie, ce sont des traitements technologiques, très drastique, qui sont sans aucune mesure en cuisine, qu'on ne peut pas reproduire en cuisine et qui modifient la matrice des aliments. On peut citer notamment la cuisson-extrusion et le soufflage, qui éclate les matrices alimentaires. Et enfin, 4e type de MUT, ce sont ce qu'on appelle les ingrédients ultra transformés qui sont des fibres, des protéines, des lipides et des glucides ultra transformés. Alors, je vais donner quelques exemples : dans les glucides ultra-transformés vous avez par exemple tous les sirops de céréales, sirop de glucose, sirop de glucose, fructose, sirop de blé, sirop de maïs. Vous avez les, le dextrose, les maltodextrines, l'extrait de malt d'orge, le sucre inverti, les polyols. Tout ça est issu du cracking alimentaire dans les protéines. Vous avez principalement les isolats de protéines végétales. Vous pouvez avoir aussi du minerai de viande duquel on va extraire du collagène par exemple, et vous avez aussi des protéines hydrolysées. Et pour les lipides, c'est principalement les matières grasses par exemple. Hydrogène et donc ont été modifiés par voie enzymatique ou chimique. Et vous pouvez aussi avoir des isolats de fibres avec l'idée que une fibre isolé et ajouter artificiellement à l'aliment n'a pas les mêmes propriétés que la fibre, qui est naturellement imbriqué dans une matrice alimentaire, peut transformer et qui aura d'autres propriétés. Donc vous voyez que ces 4 catégories de MUT ont tous un point commun. On a une dégradation de la matrice alimentaire voir plus du tout de matrice. Par exemple un arôme purifié, un sirop de glucose, il n'y a plus du tout de matrices alimentaires. Le constituant a été totalement extrait de sa matrice. Et dans la cuisson extrusion et le soufflage. Euh, là, du coup, on a une matrice qui est très dégradée par des hautes pressions, des très fortes températures et donc vous voyez bien que le paradigme, le concept qui sous-tend la définition d'une transformation n'est pas la composition. Mais on est bien dans l'idée d'une dégradation excessive et d'une artificialisation des matrices alimentaires. Donc si voulez, on change l'angle de vue. Et l'hypothèse que je pose en tant que chercheur, c'est que justement les maladies chroniques ont beaucoup plus à voir avec la dégradation et l’artificialisation des matrices alimentaires, en première intention, qu'avec la composition des aliments. C’est bien parce que ces matrices justement ont été rendues hyper attractives, hyper-palatable avec des colorants, des exhausteurs de goûts, des texturants, des textures friables, faciles à mastiquer qui demande moins d'efforts, des arômes artificiels qui vont exacerber les propriétés sensorielles. C'est bien parce qu'on a modifié ces matrices, qu'elles vont nous pousser à consommer plus que de raison. Et effectivement quand on consomme ces aliments plus que de raison, on a tendance à consommer en excès, sel, sucre gras et additifs et ce qu'on appelle des xénobiotiques, c'est-à-dire des composés étrangers au corps humain qui peuvent être de divers types. Ça peut être des résidus de pesticides si on ce sont des aliments conventionnels, ça peut être des composés migrants des emballages, car ces aliments sont sur emballés ou ça peut être des composés qui sont néoformés lors des traitements drastiques appliquées à ces aliments. Donc voilà, si vous avez compris que un aliment ultra-transformé contient au moins un marqueur d'ultra-transformation dans ces 4 catégories, vous avez compris ce que c'est qu'un aliment ultra-transformé. Alors après la grande question, c'est justement, ça va être comment les repérer ?
Jam : Ouais, il y a une grande partie de notre alimentation qui est composée d'aliments ultra-transformés. J'ai entendu, tu as dit sirop de glucose, dextrose. Ça c'est des ingrédients qu'on trouve souvent dans les produits à destination des enfants, notamment les céréales, et ça passe aussi par les plats surgelés. Mais ça répond à un besoin en fait, les gens n'ont pas forcément le temps de toujours cuisinier de faire les courses parfois. Donc il y a un réel besoin qui fait que les gens vont s'orienter vers ces produits qui sont faciles d'accès, facile à préparer. Est-ce qu'il y a un moyen de garder les avantages en termes de temps, tout en améliorant son alimentation. Économiser son temps, donc ne pas avoir à cuisiner tous les soirs. Et en même temps, manger sain.
Dr Anthony Fardet : Alors c'est une question très importante. Pour la petite histoire. En fait, l'ultra transformation est né après-guerre et je vais répondre à ta question. D'abord avec le cracking alimentaire qui a démarré dans les années 50 avec le cracking du maïs en sirop de glucose. Et puis il y a eu aussi progressivement l'accès au travail des femmes de manière de plus en plus importante dans les pays occidentaux, ce qui est évidemment une bonne chose. Mais ce qui s'est passé, c'est qu'il y a, euh, la transmission culinaire et alimentaire qui était faite traditionnellement dans le foyer par les femmes, quand les femmes ont accédé au travail, il n'y a pas eu de rééquilibrage. Le papa n'a pas forcément pris le relais et donc l'industrie s'est progressivement substituée à cela. On vit de manière de plus en plus trépidante. Euh, le travail est de plus en plus stressant. On a de moins en moins de temps. Et donc effectivement, l'industrie, notamment les grandes multinationales, ont répondu à tout ça en proposant des aliments prêts à l'emploi facile à consommer. En plus, les aliments ultra transformés sont moins cher. Ce sont des calories bon marché. Et donc l'industrie finalement a répondu à 2 sécurités, c'est-à-dire la sécurité alimentaire, fournir des calories bon marché au plus grand nombre. Et la sécurité sanitaire, c'est à dire des aliments très sûr, mais au détriment de la sécurité nutritionnelle et santé et de la sécurité environnementale. On pourra y revenir. Alors pour répondre à ta question, il faut aussi contextualiser, rappelant qu’au sein des produits étiquetés emballés, c'est à dire d'origine industrielle en grandes et moyennes surfaces, dans la distribution, 2 aliments sur 3 sont ultra-transformés, Et 1 sur 3 ne le sont pas. Donc si vous voulez dans le tiers restant, ça correspond à plusieurs milliers d'aliments et il y a tout à fait possibilité de bien manger. Après concernant le prix. Il est vrai que ces aliments, globalement, sont moins chers. Par exemple, aux États-Unis, ils sont 64% moins cher que les aliments frais ou bruts. En Belgique, une étude a montré que c'est 56% moins cher. Moi, j'ai fait le calcul en France, les écarts sont moins importants en grande distribution, mais je l’ai fait qu’en grande distribution, c'est environ 16% à 17% moins cher, mais ça peut être conséquences sur un budget mensuel. Alors, ce sont des chiffres statistiques et très globaux, mais après on peut très bien faire des choix alimentaires vers des aliments qui ne sont pas ultra-transformés, qui sont de qualité. Par exemple, on peut très bien acheter des pâtes alimentaires au blé complet, des lentilles qui sont vendues en carton par exemple, des yaourts nature, certaines conserves, certains légumes surgelés. Voilà, il y a tout un tas de produits qui sont pas forcément plus cher et qu'on peut consommer et qui qui restent de qualité. Donc on a des produits industriels de qualité. Après, pour répondre à la question du temps et de l'argent. Je pense très sincèrement qu'on ne peut pas toujours tout ramener au temps et à l'argent. Par exemple, on dit le temps c'est de l'argent. Non. Le temps c'est de la vie d'abord, ce n'est pas de l'argent. Donc cet adage populaire montre bien à quel point tout est ramené à l'argent. Et je pense que l'alimentation ne doit pas être ramenée qu'à l'argent. C'est un acte fondamental que l'on fait 3 fois par jour. Et si l'on vit jusqu’à 83 ans, on mange minimum 90000 repas au cours d'une vie. Donc, l'alimentation soutien la vie humaine, animale et végétale, donc un acte aussi important doit être revalorisé. Donc s'il doit être revalorisé, une question qu'on pose donc, si on change la hiérarchie de nos valeurs, c'est comment le revaloriser, donc ça peut être mettre un peu plus d'argent dans l'alimentation et moins ailleurs. Comprendre la valeur de l'acte alimentaire en terme humaniste, c'est à dire en termes de partage. Manger, c'est du plaisir, c'est du partage. C'est dialoguer avec d'autres personnes. Quand on mange, par exemple en entreprise à midi. Il y a aussi une valeur de de rencontrer des gens, de discuter avec des gens. Ce n’est pas seulement la santé, donc on ne peut pas non plus résumer l'alimentation à la santé. Après effectivement les plus défavorisés consomment le plus les aliments ultra-transformés. Ça a été documenté par plusieurs études scientifiques et ce sont les plus à risque, notamment d'obésité, de diabète de type 2. Donc là je pense que l'état pourrait jouer un rôle de façon à rendre accessible des aliments de qualité à ceux qui n'ont pas forcément les moyens. Donc on peut imaginer divers actions incitatives. Ça pourrait être de taxer les aliments ultra-transformés en fonction du nombre de marqueurs d'ultra-transformation. Plus il y en a, plus la taxe est importante, parce que ces marqueurs ne sont pas associés à des systèmes alimentaires durables, donc on peut imaginer que plus il y a de marqueurs d'ultra transformation, plus l'aliment est issu d'un système alimentaire dégradé. Donc ça, ça peut être une mesure forte qui serait progressive, graduelle et qui pourrait être intéressant parce que y'a pas de raison que des aliments finalement qui sont pas associés à une santé et à une planète durable soient moins cher que les vrais aliments. Donc en fait on fait un très mauvais calcul en croyant ne pas les acheter cher sur le moment, ce qui est vrai, ils sont moins cher de manière générale. En fait, ils sont très chers, ils sont très cher à long terme pour la santé, pour les systèmes alimentaires et la durabilité. Donc voilà, je pense qu’il ne faut pas tout résumer à un manque de temps et d'argent. Je pense que fondamentalement, c'est d'abord une question de hiérarchie des valeurs que l'on a individuellement et si on pense que l'alimentation est une valeur très importante, qui se pratique 3 fois par jour, et bien on peut mettre les moyens en place pour cet acte qui va pas seulement impacter notre santé, mais si on mange mieux, de qualité, on va aussi impacter les agriculteurs. Le bien-être animal, la socio économie, l'environnement, et cetera. Les traditions culinaires par exemple.
Jam : Comment ça peut impacter le bien-être animal ?
Dr Anthony Fardet : Par exemple les aliments ultra-transformés à base de produits animaux, ça peut être des plats préparés, etc. Et bien, les calories animales dans ces aliments ultra-transformés sont issues d’élevages intensifs. Donc plus on va consommer de produits ultra transformés contenant des ingrédients d'origine animale, plus on stimule l'élevage intensif et par exemple en France, 82% des animaux sont élevées en intensif, donc l’intensif pour l'animal c'est quand même des conditions effroyables, avec de la maltraitance, ce sont des conditions qui ne respectent pas les besoins fondamentaux de l'animal. Par exemple, quand vous avez des lapins qui toute leur vie dans une cage. Et ils ne peuvent même pas bondir alors que le fait de bondir est dans l'essence même du lapin, vous imaginez ou des truies qui peuvent à peine se retourner, et cetera. Donc le lien, il est très clair. On a d'ailleurs publié un article en 2020 sur le lien entre l'ultra-transformation et la durabilité des systèmes alimentaires et on voit très clairement que les aliments ultra transformés à base de produits animaux sont issus de l'intensif. Sur la planète, rappelons que chaque année, 1000 milliards d'animaux sont abattus et que plus de 80% des animaux sur la planète sont élevées en intensif et dans les conditions vraiment très très difficiles pour ces animaux. Donc si on tend vers des vrais produits animaux plutôt de l’extensif et qu'on diminue notamment la consommation de viande pour aller vers de la meilleure qualité en extensif, on va naturellement diminuer l’intensif et la maltraitance animale.
Jam : Malheureusement, c'est des habitudes qu'il faut changer. D'abord en tant qu'individu, mais je pense aussi que l'état a son rôle à jouer. Alors si c'est un si gros problème, pourquoi est-ce que l'état ne fait pas plus peut être en mettant des restrictions sur la quantité de sucre que peuvent contenir les céréales du petit-déjeuner par exemple, ou en en investissant dans l'éducation des enfants, en leur apprenant qu’il y a certains ingrédients qu'il ne faut pas consommer, donc leur apprendre à lire les étiquettes, par exemple, et leur dire que voilà, il faut pas choisir ça parce que ça, ça va causer ça sur le long terme. Je pense que les enfants seraient assez ouverts à ça et il peut vraiment se mettre ça dans la tête très tôt et ça va mener à des bonnes habitudes. Mais par contre on ne voit pas ça aujourd'hui, j'ai l'impression que l'état ne fait aucun effort, ne fait aucun effort sur ça, sans parler que c'est une mauvaise idée d’un point de vue économique puisque sur le long terme, c'est effectivement coûteux d'avoir des gens malades, à cause de leur alimentation.
Dr Anthony Fardet : Oui.
Jam : Donc c'est économiquement viable que d'encourager une alimentation saine et équilibrée. Pourtant ce n’est pas ce qui est fait.
Dr Anthony Fardet : Oui, tu as entièrement raison, alors c'est vraiment une question très importante. Alors je pense qu'on peut agir à 3 niveaux, tu les a pratiquement tous les 3 mentionné, ce que j'appelle par le bas, mais ce n’est pas péjoratif, c'est l'éducation, mais une éducation à l'alimentation holistique c'est à dire à la santé globale, c'est à dire éduquer les plus jeunes à faire le lien entre l'acte alimentaire et la santé globale de la planète. C'est ce que j'appelle une éducation en alimentation holistique. Alors l'éducation à l'alimentation est pratiquée à l'école par un article de loi, j'ai plus le numéro de l'article, mais il peut se retrouver facilement sur internet. Mais si vous voulez c'est si tu veux, ce n’est pas dans le tronc commun au même titre que les maths, la lecture etc. C'est plutôt un petit peu au bon vouloir des enseignants, c'est ce qu'on appelle une éducation transversale, de même qu'il peut y avoir l'éducation sexuelle, l'éducation à l'éthique etc. Et donc ils font intervenir des intervenants extérieurs des fois. Ça peut être des chercheurs des d'autres enseignants qui vont parler d'alimentation, mais ça peut aussi être une porte d'entrée pour des lobbies qui vont promouvoir des messages nutritionnels qui sont pas forcément en faveur de la santé de la planète. Donc il y a aussi ce risque. Donc en fait ce qu'il faudrait c'est évidemment, mais je ne suis pas, il y a beaucoup de gens qui pensent comme moi c'est pouvoir avoir dans le tronc commun une véritable éducation à l'alimentation holistique et qui puissent être évaluées au même titre que les maths et cetera. On apprend à lire, écrire et compter. On pourrait rajouter, apprendra à bien manger. Euh, donc ça, c'est un premier point. Ensuite, au niveau horizontal, c'est la sensibilisation auprès du consommateur, c'est à dire l'information communication, sensibilisation. C'est ce que j'essaye de faire et que font beaucoup d'autres, notamment avec SIGA. C'est ce qu'on a voulu faire en développement une application pour repérer les aliments ultra-transformés avec le code barre. Et enfin par le haut, c'est par les chercheurs, les politiques, on va on va dire les gens qui sont souvent décisionnaire et qui sont souvent bac+5 à bac+8. Alors il y a quand même le programme national nutrition santé depuis 2001 qui a pour vocation de transmettre des messages pour améliorer notre alimentation. Cependant, je pense qu’il faut communiquer auprès du grand public de manière très qualitative, très holistique, très globale. Et par exemple tu mentionnais réduire le sucre, je pense que ce n’est pas comme ça qu'il faut faire parce que si on parle seulement de réduire le sucre c'est à dire une approche réductionniste, l'industriel par exemple son soda qui est riche en sucre, il va faire un soda light. Mais le soda light est encore plus ultra-transformé que le soda normal et il n’est pas meilleur pour la santé et la planète. Donc quand l'indicateur ou la recommandation c'est la plus petite des poupées russes, c'est à dire, et c'est le petit bout de la lorgnette, elle est trop faible. Ce n'est pas impactant pour la société à long terme par exemple, y'a pas forcément de lien entre les nutriments et la santé globale environnemental. Par contre, si vous dites réduisez les aliments ultra-transformés, l'indicateur est beaucoup plus holistique. C'est la grande poupée russe, c'est à dire qui est va contenir à la fois le sucre, le sel, le gras, les additifs, les xénobiotiques, la préservation des matrices alimentaires. Donc il est beaucoup plus efficace et impactant de tout simplement dire, réduisez la consommation d'aliments ultra-transformés parce que vous allez embarquer non seulement votre santé, mais aussi la santé globale. Donc c'est une question de communication et je pense que je reviens à ma proposition de tout à l'heure, je pense que ce qui serait très intéressant, c'est une taxe progressive sur ces aliments en fonction tout simplement du nombre de marqueurs d'ultra-transformation. C'est quelque chose qui est proposé par qui ? Bah moi j'en parle, après, si tu veux, c'est moins contraignant de dire on va réduire le sel, le sucre et le gras parce que l'industriel reformuler ses aliments, c'est ce qu'il fait depuis 60 ans quasiment. Il sait faire. Mais le problème, c'est que souvent on remplace le sucre, le sel et le gras, eux, par des marqueurs d'ultra-transformation pour compenser. Ou alors on va ajouter artificiellement des fibres, des minéraux pour avoir des meilleures notes nutritionnelles. Donc on voit bien que cette approche réductionniste qui se focalise sur des nutriments n'améliore pas la santé globale, le potentiel santé global de l'aliment donc, il faut vraiment, interagir au niveau de l'aliment. Après, je sais qu'il y a des associations qui ont bien compris la problématique de l'ultra-transformation. Il y a notamment le député Loïc Prud'homme qui a fait une commission d'enquête parlementaire sur l'alimentation industrielle et ses impacts santé, socio-économique et environnemental en 2018. Et je sais qu'il s'intéresse beaucoup à l'ultra-transformation, donc je sais qu'il y a des politiques qui travaillent à ça. Mais si vous voulez, si tu veux, excuse-moi, il est plus facile de reformuler, de diminuer le sucre, le gras, le sel et de rajouter un peu de poudre de perlimpinpin, que de passer d'un aliment ultra-transformé à non-ultra-transformé. Parce que ça veut dire qu'il faut supprimer les marqueurs d'ultra-transformation. Ça veut dire qu'il faut changer certains traitements technologiques pour les rendre plus doux, et qui préserve mieux les matrices alimentaires. Donc l'enjeu est beaucoup plus, c'est plus difficile, mais je pense qu’à long terme on y arrivera, parce que les gens se rendent bien compte qu’un soda light est moins sucré mais voilà, les études scientifiques ne montrent pas que le soda light est meilleur pour la santé. Donc je pense qu'il y a une prise de conscience progressive. Mais comme on est dans une société très très réductionniste. Pour l'instant, cette approche de réduction du sel et du gras et du sucre dans le monde est privilégiée. Mais moi personnellement, sur la base d'ailleurs de travaux que j'ai publié, je pense que c'est une mauvaise idée parce que c'est cette approche ne finalement presque indirectement soutien l'ultra transformation parce que des produits allégés beaucoup sont ultra-transformés et comme les aliments ultra transformés sont associés à des risques accrus de maladies chroniques, on voit bien que ce n’est pas la bonne approche. La bonne approche, c'est vraiment de de faire des aliments moins transformés, c'est à dire avec des transformations plus respectueuses de la matrice globale de l'aliment.
Jam : Il y a une autre catégorie de produits transformés qui a fait son apparition il y a quelques années, c'est la viande à partir de plantes. Comme « Beyond Meat », « Impossible burger » et cetera.
Dr Anthony Fardet : Ouais
Jam : J'ai vu une publicité sur Facebook y a pas longtemps, hier je crois, d'une marque française qui faisait la promotion de ses produits et j'ai été surpris de voir un nutri-score A. Alors quand je vois A, je me dis ça c'est bon, ce n’est pas nocif. On peut y aller, y a pas de problème. Alors que de ce que j'ai compris dans le passé c'est que ces produits-là sont principalement faits de produits de soja, de d'organismes génétiquement modifiés, d'huile raffinée, et cetera. Donc des choses qui ne sont pas bonnes du tout. Comment ça se fait qu'un produit peut avoir un nutri-score A tout en étant probablement très mauvais pour la santé.
Dr Anthony Fardet : Alors l'explication est assez simple, on a beaucoup travaillé dessus, notamment avec SIGA, alors juste, les OGM sont interdits en France en terme de consommation alimentaire. Par contre ils sont autorisés dans l'alimentation animale. Alors oui, ces substituts de viande, c'est vrai, sont plus proche de la chimie comestible que de vrais aliments. Ils sont très très ultra-transformés. Si vous voulez l’approche des scores de composition, mais y a pas que le nutri-score, c'est ce qui est privilégié dans le monde par exemple on va citer d'autres scores de composition. C'est le traffic light en Angleterre. Le health star rating en Australie, les Nordic Key Hole dans les pays scandinaves, les nutritional warning au Chili et en Amérique latine, le nutrition facts aux USA. Donc, le paradigme dominant a été d'évaluer le potentiel santé de l'aliment sur l'équilibre en quelques nutriments. Donc, cette approche n'est plus la bonne parce qu'en fait, on peut très bien remplir ses besoins nutritionnels et tomber malade chronique. Par exemple, si vous consommez des aliments ultra-transformés, nutri-score AB, ou enrichis en minéraux, vitamines d'origine industrielle, vous allez remplir tous vos besoins nutritionnels, mais vous allez sans doute tomber malade chronique, puisque ces aliments sont associés à des risques accrus de maladies chroniques. Pourquoi ça marche pas ces scores ? Donc nous on a évalué par exemple avec SIGA que près de 57% des produits étiquetés emballés nutri-score AB sont ultra transformés et dans le bio, non le bio c'est une autre question. Mais en tout cas on a plus d'un aliment sur deux, mais c'est vrai aussi avec le health star rating, on a les mêmes résultats avec le traffic light donc on voit bien que le filtre de quelques nutriments qui composent ses scrores n'est absolument pas suffisant pour évaluer la qualité globale de l'aliment, c'est à dire sa matrice. Parce que ces scores de composition, on a étudié ces nutriments qui rentre dedans de manière isolée, et les ont ensuite agrégées dans un score. Mais quand on fait d'agrégation, on ne prend pas en compte les liens qui unissent les nutriments, c'est à dire que, par exemple, les 7 composés dans un score selon les matrices alimentaires peuvent être reliés entre eux de manière très différente selon l'aliment. Et pourtant, c'est les mêmes composés, donc on arrive à ces aberrations ou de la chimie comestible est mieux noté que des vrais aliments. Donc, avec des huiles raffinées. En plus, les substituts de viande sont très riches en eau, l'eau et parfois même le premier composé. Donc voilà, on arrive à ces aberrations ou des sodas light qui sont mieux notés que des vrais aliments et des ingrédients nobles. Parce qu'on fait en remontant des nutriments vers l'aliment, on ne prend pas en compte la matrice et donc, par exemple, on a des céréales au petit-déjeuner au blé complet qui sont notés B, et qui pourtant sont des bombes de sucre. Parce que, en fait, les céréales étant cuit-extrudés, donc tout ce qui est farine et semoule se transforme très vite en sucre dans le sang et on a des sirops de glucose, des maltodextrines qui n'entrent pas forcément dans le calcul des scores parce que c'est souvent les mono et disaccharide et pas les maltodextrines. Et on a des poudres cacaotées chocolatées où il est indiqué réduit en sucre. Mais ça veut dire quoi ? Ça veut dire réduit en sucre de table et une partie du sucre de table est remplacé par des maltodextrines. Or les maltodextrines sont même pire que le sucre de table et elles sont bien meilleur marché donc c'est tout bénéfice. C'est à dire que l'industriel finalement, ça lui coûte moins cher. Et il a une meilleure note au score de composition. Et donc. Il y a même maintenant, j'ai vu des industriels qui proposent des isolats de fibres pour intégrer dans les aliments et avoir des meilleures notes. Donc on voit tous les travers de cette approche réductionniste qui va pousser les industriels à encore plus ultra-transformer leurs aliments pour avoir de meilleures notes. Mais ça ne ça, ça n'est en aucun cas la garantie d'une bonne qualité globale de l'aliment. Et rappelons que l'équilibre nutritionnel d'un aliment au final ne veut pas dire grand-chose pour plusieurs raisons. D'abord, c'est sur une semaine que ce fait l'équilibre nutritionnel. Et ensuite aucun aliment n'était équilibré nutritionnellement le lait fromage sont riches en gras, les fruits à coque sont riches en lipides, les céréales sont riches en glucides complexes, les légumineuses en protéines, les viandes en protéines. Il n'y a guère que le lait maternel qui est un aliment complet. Donc en fait, en se focalisant sur l'excès de succès, les gras qui sont des effets, on n'oublie de regarder la cause. Et la cause, c'est sur la cause qu'il faut agir et la cause, ce sont ces aliments ultra-transformés aux matrices dégradées et artificialisées, qui nous poussent à consommer en excès mais il faut s'intéresser à la cause et non aux effets. Parce que si on agit sur les effets de façon quantitative et réductionniste, on a tous les effets que vous que tu viens de souligner avec plein d’aberrations ou on a même des catégories entières de produits qui sont stigmatisés comme les fromages. Alors qu'en fait il n'y a pas d'études qui montrent que de consommer normalement des fromages ce soit associé à des risques accrus de maladies chroniques. Alors pourquoi les fromages sont mal notés ? Parce qu'ils sont riches en acides gras saturés. Mais si on prend en compte la matrice, les acides gras saturés n'ont pas les mêmes effets selon la matrice dans lesquelles ils sont inclus, donc des acides gras saturés dans un fromage qui est une matrice fermenté. Ça n'est pas la même chose que des acides gras saturés ajouté en grande quantité artificiellement dans un aliment, donc on voit bien que le critère de composition n'est absolument pas suffisant pour préserver la santé humaine. Et la santé globale, notamment concept, à quand cette appliqué à l'échelle seulement de l'aliment.
Jam : Ce concept de matrices, je ne l'ai jamais rencontré avant. La première fois que j'ai rencontré c'était en ouvrant ton livre « Halte aux aliments ultra-transformés ». Est-ce que c'est un concept qui, en tant que consommateur, est ce que je dois m'y intéresser ? Est-ce que c'est important pour moi ou c’est...
Dr Anthony Fardet : Oui, c'est un concept fondamental. Donc comme tu l'as dit, comme je l’ai aussi rappelé la matrice de l’aliment, c'est tout simple, les nutriments dans l'aliment interagissent entre eux avec des liens et le résultat de ces interactions donne votre la matrice de votre aliment. Par exemple, une pomme à une matrice ronde, verte, plus ou moins poreuse, solide, un fromage à une matrice solide, un yaourt visqueux, le lait est liquide. Donc voilà, c'est ça la matrice, et la matrice est très importante. J'ai coutume de dire que la matrice gouverne et les nutriments obéissent. C'est à dire que les nutriments sans la matrice ne sont rien sans les liens. Ils ne sont rien, ce qui veut dire que vous, si vous consommez 10 gélules qui ont la même composition et la même quantité de nutriments que votre repas naturel entre guillemets ça n’aura pas les mêmes effets sur la santé. Car dans les gélules, il n’y a plus du tout de matrice. Pourquoi ? Parce que la matrice de l'aliment confère d'abord la mastication et on mange d'abord des matrices avant de manger des nutriments. Ce qu'on met dans la bouche, quand on mastique, c'est l'effet matrice qui joue, ce n’est pas l'effet nutriment. Donc la matrice joue sur la mastication, la mastication stimule la satiété et la satiété régule la prise alimentaire, donc c'est fondamental. Ensuite, la matrice va jouer sur la vitesse de transit digestif selon qu'elle soit liquide, solide ou visqueuse. La vitesse de vidange gastrique n'est pas la même. Le transit intestinal n'est pas le même, donc si vous prenez un jus de fruit liquide, vous allez consommer plus de calories en une minute qu'avec un fruit entier. Par exemple, il a été montré avec les aliments ultra-transformés qu'on consomme entre 56% à 100% de calories en plus par minute, par rapport à des aliments bruts ou peu transformés. Donc la différence est énorme. Mais on voit bien que c'est lié à un effet matrice d'abord, c'est à dire, c'est lié à l’artificialisation des matrices avec des textures qui demande moins de mastication, qui sont plus liquides, qui sont très appétentes, qui sont hyper palatables, très attractive. Donc oui, le grand public doit absolument s'approprier le concept de matrice et de structure de de l'aliment. Mais tout le monde n'est pas forcément scientifique et n'a pas mené des recherches poussées sur l’effet matrice, donc, pour parler de la matrice aux gens de manière simple, il suffit juste de dire de réduire les aliments ultra transformés. De favoriser les formes solide à liquide par exemple, favoriser les légumes et les fruits entiers au jus correspondant. Ça veut pas dire qu’il ne faut pas prendre de jus, ça veut juste dire que si la seule façon de consommer un légume ou un fruit, c'est sous forme de jus, ça n'est pas bon à long terme. Il faut favoriser les formes solides et enfin, ça veut dire aussi favoriser les céréales complètes à raffinées et donc voilà, et on vous voyait bien que favoriser les formes solide à liquide, les céréales complètes raffinées et réduire les ultra-transformés, dans les 3 cas on est dans un problème de matrice avant tout, c'est à dire une matrice davantage préservée. Donc le mot matrice n'est pas très compréhensible par le grand public, donc il faut plutôt aller vers ce type de recommandations simples que tout le monde peut comprendre.
Jam : Donc si je comprends bien, un smoothie pomme-banane n'est pas du tout pareil que manger une pomme et une banane ?
Dr Anthony Fardet : Non, ça n'a rien à voir. Par exemple, le matin si vous voulez manger une orange. Soit vous la mangez sous forme solide ou liquide, donc si vous la mangez sous forme solide, une orange, vous la peler, vous allez la mastiquer davantage, vous allez prendre plus de temps et en général, vous n'en prenez qu'une, bon peut être deux. Par contre, si vous la transformez en jus, d'abord vous allez souvent prendre au moins 3 oranges. La forme va être liquide, donc passer de l'orange entière à liquide a 3 conséquences pour la santé qui ne sont liées qu’à l'effet matrice. Vous allez d'abord comme la matrice est liquide, vous allez consommer plus de calories en une minute, donc vous allez consommer plus de sucre. Comme vous ne mastiquez pas, c'est moins rassasiant pour le reste de la journée. Et comme la matrice est cassé, il y a moins de fibres dans le jus un petit peu moins, même si vous gardez un jus 100% naturel. Les sucres du jus qui sont souvent un mélange de glucose, fructose et saccharose, sont libérés plus vite, donc index glycémique augmenté. Et vous voyez bien que ces 3 conséquences que vous pouvez décliner sur d'autres aliments sont d'abord liées à ce fameux effet matrice. Donc ça ne veut pas dire qu'il faut ne pas prendre de jus évidemment, mais ça veut dire qu’il faut quand même privilégier les formes solides alimentaires, parce que si on mange que liquide, à quoi ça sert d'avoir des dents en fait hein ? Donc voilà, c'est aussi simple que ça.
Jam : Ouais, et d'ailleurs il y a un produit qui est entré sur le marché il n’y a pas très longtemps, qui est censé remplacer un repas complet et il est sous forme liquide.
Dr Anthony Fardet : Je connais.
Jam : Donc il y a vraiment aucune valeur à prendre ça.
Dr Anthony Fardet : Non, on est dans la pensée ultra réductionniste ou c'est-à-dire qu'on réduit l'acte alimentaire qui est d'abord de la slow food, un acte qui demande du temps, du partage, qui implique le plaisir, l'humain, la santé, on le réduit à une poudre, c'est à dire qu'il y a même plus besoin de mastiquer. Donc c'est ça, le réductionnisme, c'est qu'on réduit progressivement les dimensions de l'acte alimentaire, donc on passe d'une alimentation qui est slow, slow food, qui demande du temps, du partage, qui a un effet matrice préservé, que l'on cuisine à un aliment qui n'a plus de matrice qui ne se mastique plus, qui se prépare en 10 secondes avec un verre d'eau et que l'on mange seul devant un écran. C'est ça le réductionnisme, quand on a compris qu'on est en train de réduire l'acte alimentaire et qu'on passe de la slow à la fast food, je pense que vous avez bien compris ce que c'est que cette pensée réductionniste et c'est ultra transformation. Donc si ces repas en poudre sont consommés très occasionnellement pour dépanner, pourquoi pas ? Mais je ne suis pas sûr que l'intention de ces industriels soit celle-ci. Je pense que l'idée, c'est quand même qu'on en consomme le plus possible. Donc non, la plupart de ces poudres à reconstituer sont ultra-transformées et ils ne doivent être qu’une rare exception et non la règle bien évidemment.
Jam : Est-ce que pendant tes recherches tu as regardé un petit peu ce qui se faisait à Okinawa ? Les régimes alimentaires là-bas ?
Dr Anthony Fardet : Oui, en effet, oui, euh, bah le régime Okinawa fait partie de ces régimes qui sont naturellement bon pour la santé et apparemment pour la planète, qui contiennent peu de calories animales, c'est moins de 10% de calories animales, enfin si on prend le régime Okinawa traditionnel hein, c'est à dire des années 1950 qui donne les centenaires d'aujourd'hui. Okinawa fais partie des zones bleues, c'est à dire les zones de la planète ou il y'a le plus de centenaires. Le régime Okinawa, c'est un peu comme le régime méditerranéen, c'est à dire ce sont des régimes traditionnels qui existent depuis longtemps et qui ont été montrés protecteur pour la santé et ce qui est intéressant dans ces régimes, c'est qu'ils rejoignent la règle des 3V qu'on a élaboré dans notre laboratoire, c'est-à-dire qui sont riches en produits végétaux, pas trop transformés et variés, c'est à dire végétal-vrai-varié, les 3V. Donc oui, il y a beaucoup de régimes traditionnels qui sont déjà bon pour la santé. En sciences, on part de régime a priori. Et puis il y a aussi des régimes à posteriori qui sont des régimes conçu scientifiquement sur la base des données scientifiques, par exemple le régime prudent, le régime DASH dietary approaches to stop hypertension. Donc voilà, mais effectivement, alors il y a aussi le régime nordique, nordic diet. Il y a eu pas mal d'études aussi, qui semble plutôt protecteur pour la santé, à l'inverse du régime occidental, c'est à dire qui concerne beaucoup les pays anglo-saxons, Australie, Nouvelle-Zélande, Canada, Angleterre, Royaume-Uni, USA et aussi un peu. Enfin, même beaucoup encore. Les produits d'Europe occidentale et qui a 2 grandes caractéristiques et qui qui fait que ces régimes sont très loin des 3V, c'est qu'ils sont riches en produits animaux et riche en produits ultra transformés. Donc en fait, on n’est pas dans du végétal-vrai-varié, mais on peut on peut parfois être dans de l'animal-faux-monotone, c'est à dire l'inverse des 3V.
Jam : Et à Okinawa, ce qui est intéressant aussi, c'est qu'ils ont une relation à la nourriture qui est très différente de nous, c'est à dire que c'est vraiment du potager à l'assiette.
Dr Anthony Fardet : C'est ça.
Jam : Ils font pousser leur légume eux-mêmes. Ils les cueillent. Et puis directement ils les mangent en famille, avec leur communauté, avec leurs amis. Donc il y a une relation à la nourriture qui est très différent de ce qu'on peut voir chez nous.
Dr Anthony Fardet : Oui c'est ça donc alors après tout le monde ne peut peut-être pas faire comme Okinawa mais je pense que et c'est ça l'idée de de la règle des 3V. Qui sont 3 dimensions, générique qui gouverne la, la relation alimentation santé globale, végétal, vrai, varié. Ce sont 3 axes génériques mais qui peuvent s'adapter selon les régions. Donc on peut très bien développer par exemple, moi qui vit en Auvergne un régime auvergnat, protecteur de la santé globale en fonction des traditions culinaires, en fonction des conditions pédoclimatiques, agronomiques, et pourquoi pas des croyances. Donc je pense que chaque pays peut essayer de développer un régime régional qui lui soit sain et qui protège la planète, c'est aussi un peu la vocation des PAT ou des projets alimentaires territoriaux qui se développent en France. C'est finalement la notion, j'avais écrit un article là-dessus il y a plusieurs années, de la régionalisation des régimes sains et durables. Et donc nous, ce qu'on propose, c'est ses 3 dimensions végétal, vrai, varié, qu'on peut ensuite décliner puisqu'elles sont génériques, qu'on peut ensuite décliner de façon peut être moins générique cette fois-ci, selon les différentes régions de la planète.
Jam : C'est intéressant, la règle des 3V, c'est quelque chose qui peut être implémenté par chacun. Et d'ailleurs, tu l'explique bien dans ton livre. Tu avais parlé de d'une application faite par SIGA, elle sert à quoi déjà ?
Dr Anthony Fardet : Alors SIGA a commencé fin 2016, début 2017. L'objectif c'était de classer les aliments selon le degré de transformation. Voilà et donc avec l'application SIGA, si vous scannez l'aliment, vous allez pouvoir… SIGA vous dira quel est son niveau de transformation et notamment s’il est ultra-transformé ou pas parce que si tu veux, c'est quand même compliqué quand on n'est pas averti, aguerri, de détecter un aliment ultra-transformé, c'est pas toujours facile, donc c'est un peu la vocation de SIGA. Après, si vous ne trouvez pas votre aliment dans l'application parce qu'on est un peu jeune et bon c'est long de rentrer tous les aliments, il y a je crois qu'il y a 55 000 aliments dans la base donc c'est pas encore suffisant. Mais si vous ne trouvez pas l’aliment, il y a un indicateur qui est quand même intéressant à avoir en tête et qu'on a calculé sur environ 25 000 aliments c'est qu’au-delà de 5 ingrédients sur la liste dans l'emballage, je ne parle pas de la composition, bien des ingrédients donc au-delà de 5, c'est à dire 6 et plus, vous avez plus de 3 chances sur 4 que l'aliment soit ultra-transformé.
Téléchargez l'applicationJam : D'accord. Et l'activité physique dans tout ça ? Est-ce que ça compte ? Est-ce que ça a une place dans la longévité dans être en bonne santé ? Ou est-ce que c'est vraiment que les aliments.
Dr Anthony Fardet : Alors c'est aussi une bonne question ? Alors je ne suis pas spécialiste de l'activité physique mais j'ai quelques réflexions que je peux vous apporter. D'abord, rappelons l'OMS à montrer que les 3 principaux paramètres des maladies chroniques puisqu’aujourd'hui on meurt plus de maladies chroniques que de maladies infectieuses. On est à 73% de la mortalité précoce sur la planète sont des maladies chroniques, donc les 3 principaux paramètres c'est mauvaise alimentation. Sédentarité et pollution environnementale, et donc la sédentarité s’est accrue. C'est effectivement une baisse d'activité physique. Il y a certains éléments qui commence à apparaître et qui disent que faire de l'activité physique ne sera pas suffisant pour éliminer des calories de mauvaise qualité, c'est à dire que si vous avez un régime très riche en ultra transformés, avec des calories de mauvaise qualité, faire de l'exercice physique ne sera pas suffisant. Donc il faut d'abord privilégier évidemment, l'activité physique est très importante pour la santé, pour réduire le risque de certaines maladies chroniques, le stress, le bien-être mental. Comme le gain de poids ou l'obésité n'obéit pas à une équation linéaire, excès de calories moins les entrées, ce n’est pas aussi simple que ça même si ça peut compter, il y a aussi la qualité des calories que l'on ingère. Par exemple, il a été observé en Chine, dans les années 70-80, c'était la China study, l'enquête chinoise de Colin Campbell. Il a observé que des individus qui consommaient plus de calories que d'autres, était finalement à activité physique égale était moins en surpoids que des gens qui consommer moins de calories, mais qui consommaient des calories de moins bonne qualité. Donc, la qualité des calories compte et cette qualité des calories c'est le degré de transformation, l’effet matrice. voilà, c'est donc c'est, c'est c'est quand même important. Donc oui, il faut faire évidemment une activité physique régulière, mais ça ne vous dispensera pas, de mal manger ou de mieux manger plutôt pardon.
Jam : Il y a une tendance assez drôle. C'est un concept assez récent qui est le fat shaming ou la grossophobie. Donc l'idée c'est d'accepter l'obésité dans notre société, ne pas la combattre, c'est quoi ton opinion là-dessus ? Est-ce que on va dans le mauvais sens ?
Dr Anthony Fardet : Bah c'est une question compliquée, alors je peux faire part de ma réflexion en soulignant évidemment que je ne suis pas sociologue ni de l'alimentation. Après, l’obésité reste quand même un problème de santé publique, donc ça on ne peut pas le nier, on sait que ça augmente, ça multiplie les facteurs de risque de maladies plus graves, c'est à dire certains cancers, maladies cardiovasculaires, la NASH par exemple, c'est à dire la stéatohépatite, donc ça c'est quand même un fait. Après l'idée qu’il ne faut pas stigmatiser, l'obésité est évidemment une bonne idée. On n'a pas à stigmatiser les gens en fonction de quoi que ce soit, donc au niveau éthique, ça c'est évidemment juste. Mais par contre, il faut pas que ça, il faut pas que ça nous empêche de voir que quand même l'obésité reste un problème de santé publique parce qu'il y a des coûts pour la société qui sont quand même important et que voilà, on peut diminuer son espérance de vie à long terme. Donc je pense qu'il faut prendre en compte les 2, ne pas stigmatiser mais voir les choses en face. Rappelons quand même que l'obésité alors j'ai plus le chiffre exact en tête publié par l'OMS mais je crois que ce n’est pas loin de 700 millions de personnes dans le monde, et le surpoids n'en parlons pas, je crois que c'est 2 milliards de personnes, donc voilà, c'est quand même des coûts importants. Et ça aussi un coût pour la planète, parce que un papier sorti il n’y a pas longtemps a calculé que l'obésité sur la planète c'est 1,7% des gaz à effet de serre alors, évidemment il ne faut pas stigmatiser et voilà donc c'est les seules choses que je puisse dire. Trouver un équilibre entre la non stigmatisation et aussi regarder les choses en face.
Jam : Malheureusement, ce qui est fait, c'est qu’on essaie d'éliminer la stigmatisation, à fond, et on va dans l'extrême, plutôt que d'essayer d'améliorer les choses, c'est plus une sorte d'acceptation qui est promue. C'est ça que je trouve décevant en fait.
Dr Anthony Fardet : Oui comme si c'était un peu une fatalité qu'on n'y pouvait rien. Ouais donc c'est ça, il faut trouver le juste équilibre, c’est à dire on ne peut pas rendre le monde obèse parce que c'est ça des coûts, ça des vrais coûts humains donc qu’on ne peut pas nier. Et en même temps évidemment, faut pas stigmatiser donc je pense que l'obésité demande une approche holistique et pas seulement nutritionnel, c'est à dire une approche multidisciplinaire puisque les maladies chroniques sont multidimensionnelles à leur origine. Ce n’est pas seulement un facteur, il y a pas que l'alimentation qui joue un peut y avoir des facteurs génétiques même si c'est que 10% de l'obésité les facteurs génétiques il peut y avoir d'autres facteurs font qu'on connaît moins, ça peut être des causes mentales, psychologiques. Donc je pense qu’il faut un accompagnement holistique des maladies chroniques et notamment de l'obésité et bienveillant. Et puis après, si quelqu'un se sent bien dans sa peau comme ça, il y a évidemment aucun souci. Et puis évidemment, il ne faut pas stigmatiser les gens, c'est la base.
Jam : Absolument. Toi, qu'est-ce que tu manges ? Est-ce que tu as changé tes habitudes après tes recherches ? Est-ce que tu pratique le jeûne par exemple ? Est-ce qu’il y a des habitudes que tu as inclues dans ta vie de tous les jours.
Dr Anthony Fardet : Oui, bien sûr. Alors je ne pratique pas le jeûne. Mais par contre c'est vrai que j'essaye, on parlait de la règle des 3V, donc j'essaye de végétaliser davantage. Je réduis les ultra-transformés. C'est à dire que je beaucoup plus attentif à la liste des ingrédients. Et puis j'essaye de varier. Donc voilà, j'essaye de tendre, je ne dis pas que j'arrive à tous les jours à manger 3V si je peux m'exprimer ainsi entre guillemets, mais ce sont trois axes qui me guident dans mes choix alimentaires. Donc l'idée c'est d'essayer de végétaliser un peu plus, de manger plus de vrais aliments et puis d'essayer de varier dans chaque groupe d'aliments.
Jam : OK. Et bien super, on arrive à la fin du podcast, est ce que tu as un mot de la fin, un conseil à donner ?
Dr Anthony Fardet : Oui, le mot de la fin c'est que bien manger est très simple pour soi et la planète, en fait, c'est très très simple et il approche nutri-centrée et c'est à dire essentiellement basé sur les nutriments, le réductionnisme nutritionnel ou ce qu'on appelle le nutritionnisme, a tout compliqué. Elle a créé des injonctions contradictoires, c'est-à-dire qu'on a voulu relier notamment des maladies chroniques à un seul nutriment. On propose des régimes basés sur un seul nutriment, c'est à dire il y a le régime, cétogène qui est plutôt basé sur le gras, hyper protéiné sur les protéines, les régimes allégés. Donc cette approche nutri-centrée a créé beaucoup de confusion, alors qu'en fait bien manger est très simple, pourvu qu'on a qu'on adopte une approche globale et holistique qu'on a synthétisé dans le concept des 3V. Donc vous voyez, il y a très peu de questions à se poser pour bien manger en fait, il faut d'abord s'interroger sur la qualité de son régime, donc ça veut dire végétaliser davantage, varier davantage et réduire les ultra-transformés. Et puis une fois qu'on mange… Et au sein des vrais aliments, les seules questions à se poser, c'est favoriser les formes solide à liquide, plutôt les céréales complètes à raffiner. Et puis ne pas avoir la main trop lourde, en sel, sucre et gras ajoutés quand on fait des préparations culinaires à la maison et vous n'avez pas besoin d'en savoir plus, elle vous voyez que je vous parle assez peu de nutriments en fait.
Jam : Ouais. Ok, parfait, merci beaucoup Anthony. Je te souhaite une très bonne continuation et peut être à une prochaine fois.
Dr Anthony Fardet : Oui avec plaisir. On reste en contact, avec plaisir
Jam : Ça marche. Merci beaucoup.
4/21/2021